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Tribulations du Maroc
29 mai 2006

L'aérogare

L’aérogare est un trou noir. Il happe les destinations et les desseins.

Dans le café de celui de Casablanca, où les passagers s’abreuvent de temps et de boissons, un bourdonnement m’assomme. Et m’apaise. Une sérénité s’éprend de moi dans les couloirs du temps. Les touristes font une longue queue inextinguible devant le comptoir du café. Et moi je me prélasse, bronze presque dans l’attente. Un avion pour Bruxelles en retard, et la promesse de Vienne qui s’éloigne.

L’entrevue des mondes multiples dans un espace confiné me réjouit. Ça vient et ça repart. On rigole gras chez ce groupe de canadiens « entouristés ». Venus en meute, ces quatre couples font la joyeuse colo de vacances, le Maroc sur leur dos et au fond de leurs iris. L’une des touristes est vêtue d’une belle gandoura turquoise, dont les arabesques simples pour une marocaine de base, rehaussent ces traits rose bonbon. Et lui donne un air raffiné malgré que décalé.

L’aérogare grouille, et donne la symphonie des vies : le café corsé serré où léger chante une mélodie sous la pression des machines.

trounoir

Un hôte vient s’attabler près de moi : sandwich et agenda électronique. En face, un digne représentant de mes charmants compatriotes me scrute et me scanne. C’est un droit que se confèrent allègrement mes congénères pour « montrer » leur supériorité à la féminité à la marocaine. J’ai bien les traits marocains, mais l’attitude hybride, bâtarde, sans doute conjuguée à un trop plein d’assurance pour une marocaine. Donc je perturbe, les carrés dessinés dans la tête de ce digne moustachu. Il s’arroge le droit de me fixer encore plus bizarrement : un bipède de sexe féminin, red bull, clope et ordinateur…c’est bizarre, c’est louche même.

Dans cette douce matrice de l’aérogare, le flot de paroles édulcorées ne tarit pas. Il décongestionne les mâchoires. Elles envahissent mes pensées. L’aérogare de Casablanca n’a rien d’extraordinaire : les mondes sont multiples mais les oripeaux bien conventionnés. Ce dimanche en tout cas, point de fantaisie. Au plus un jeune aux cheveux pseudo rastas déguste son cola et sa revue. Rien à comparer à l’intersection de l’aéroport de Doha : où les talibans donnent le la au GI’s américains.

Ici, les langues s’entrechoquent, s’entremêlent, se tutoient, se charrient et se font belles : anglais et canaziens, arabes et néerlandais. Chez ces porteurs de mots que l’on sait ingrats se loge l’universel de l’homme.

the_menthe

Mon voisin déguste un thé à la menthe. Un « attaye » en marocain.

Le thé à la menthe est un délicieux nectar. Mais il est

assimilé au sous développement (l’odeur disent-ils) chez quelques uns de mes congénères : un dirigeant de presse et quelques gérants de restaurants « d’avant-garde » casablancais. Allez savoir pourquoi. Peut-être parce que ce sont les ouvriers qui en sont les plus grands promoteurs avec leur sacré et incompressible thé, pain et olives noires : le met du pauvre, le met du soumis, le plat du peuple.

Proscrire le thé à la menthe ou lui donner une connotation de sous-développé est un complexe de bougnoule que les étrangers épris du Maroc, encore plus les Marocains comprennent mal.

Dans l’avion pour Vienne, l’air aseptisé me fait planer.A l’arrivée de la ville de Mozart, je suis accueillie par un bonhomme à la corpulence d’un bûcheron et aux mots extrêmement xanthochromiques. Je me suis retrouvée en porte-à-faux avec cet accueil discriminant. Et Vienne, son Danube by night, ces syriens avec qui l’on a dîné, cet amie potentielle arrachée par le hasard des collisions de conscience…Aujourd’hui, de retour à la patrie, toujours dans les couloirs du temps je redoute le retour à la normale, au routinier, à l’identifiable, au « bien penser », « bien manger », « bien habiller » et tout le matériel qui accompagne la déroute de ces valeurs perdues à jamais dans le sillages de nos ancêtres. Je redoute aussi tout ce qui scrute l’autre, ce qui suit le privé de l’individu qui n’a que louchement sa place dans l’organisation sociale, habituée à juger, travailler et forniquer en meute, en passant par les voies orales et les histoires qui s’y dessinent avec, qu’elles soient vraies, ou non.

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Commentaires
D
On sent la tripe dans ce billet...JE le répéte je l ai adoré!
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