De la rumeur
« Il ne lui faut, dit-il, ny matière, ny baze : laissez la
courre, elle bastit aussi bien sur le vuide que sur le
plein…
L’erreur particuliaire fait premièrement l’erreur
plublicque, et à son tour après, l’erreur publicque fait
l’erreur particulière. Ainsi va tout ce bastiment,
s’éstoffant et formant de main en main, de manière
que le plus éloigné tesmoing en est mieux instruict que
le plus voysin et le dernier informé mieulx persuadé
que le premier; C’est un progrez naturel : car
quiquonque croit quelque chose estime que c’est
ouvrage de charité de la persuader à un aultre, et
pour ce faire, ne craint point d’aiouster de son
invention, autant qu’il veoid estre nécessaire en son
conte pour suppléer à la résistance et au défault qu’il
pense être en la conception d’aultruy. »
Montaigne, Essais, Liv.III ch.XI