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Tribulations du Maroc
30 juin 2006

L'entonnoir

La gare, le train, sont de palpitants lieux de vie en communauté. Il y a depuis quelques temps des signaux d’évolution et d’autres d’une insolente et inexplicable persistance.

entonnoir1

Aux débuts de mon expérience ferroviaire, il fallait se lever tôt pour ne pas se faire critiquer par la foule devant les guichets. Notez, SVP, la forme en entonnoir à laquelle tenait (tient) l’acheteur d’un billet de train moyen. Le bout de l’entonnoir étant la cible à atteindre : le guichetier. Celui qui a le sézame de vous faire passer en premier, au prix d’une bousculade de la joyeuse foule pas gênée pour deux sous de tant de contacts humains, de si bon matin. Et qui accepte une règle du jeu : qu’il n’y en ait pas et « que le meilleur gagne ! » Combien de fous rires perdus !

Pour acheter son billet, il fallait donc prendre l’entonnoir, pas la file.

L’usager a en général une espèce de phobie: ne pas passer avant « l’autre », reflet de lui-même. Comme des miroirs chacun renvoie à l’autre sa hantise de ne pas être servi avant. Passer en premier, « au moins c’est gagné », comme si les billets allaient ne plus exister, la gare s’évaporer, les vivres s’arrêter, la famine s’installer, l’état d’urgence déclaré. Alors ça scrute au milieu de l’entonnoir, ça garde son territoire, ça pousse une jambe par ci, un sac par là, un petit bras sur la taille. Ça fait de la stratégie réflexologique. Vu de l’extérieur, l’entonnoir est mobile, vivant. Il s’y mène de petites, inconscientes, batailles d’égos dans une multiplicité de systèmes de représentations.

L’entonnoir humain est terriblement intrigant. Ou plutôt était. Car force et heureux est de constater une nette évolution dans le comportement, du moins dans l’axe le plus riche du Maroc Casa-Rabat.

Nowadays (pour faire véridique), l’Office qui gère les trains, a mis des bandes orange fluo par terre montrant là où il faut attendre son tour. De même, l’ONCF a mis des filets qui séparent les guichets. Ainsi, le concept de la rangée est représenté par ceux qui ne l’avaient pas dans la tête. Une file, prend la forme d’une ligne droite. Faites de pleins de points. Chaque point équidistant de l’autre. Respectueux de la ligne qui attend son tour. Les gens heureux achetaient leur billet dans le plus grand confort jusqu’à...

philip_a_ni

Quelques mois plus tard, présentement, quand le regard cherche cette bande fluorescente orange, celle qui sera de votre côté en cas de litige, et bien on la trouve vaguement, pâle, souffreteuse, presque disparue sous les milliers de semelles qui l’ont profanée. Des tâches oranges salies par les vains pas d’ombres pressées. Reste qu’aujourd’hui, la file se tient toujours presque droite, il reste les filets entre les guichets. On est obligé d’emprunter une file. Oh bien sûr elle titube encore un peu. A encore du mal à laisser un mètre vide entre deux personnes. Mais la fin de l’entonnoir marque le début de la file. Une grande victoire dans l’histoire des comportements.

Il y a aussi, à notre grand bonheur et celui du ministère de l’Environnement et de la dépollution de l’air, une nette baisse de passagers qui se plaisent à exhiber leurs doux pieds en les exposant sur le siège en face du leur. Leurs non moins belles chaussures « à l’entrée du salon ». Une étrange et autre inexplicable pratique, fort heureusement donc, en voie de disparition (sur les petites distances, sur les grandes, on étend son corps).

Quel serait le message principal d’un étalage de pattes?

.« Je pue des pieds donc dégagez » ;

.« Mes pieds valent mieux que ton derrière » ;

.« Awlidi (mon fils-fiston), je suis fatiguée, j’ai besoin d’étendre mes pieds, débrouilles toi »

Mais passons, les anthropologues devraient y travailler pour nous donner des explications préhistoriques en 2020.

L’essentiel étant l’évolution. Il est heureux de la sentir dans les travers des chemins de gares.

(Ph.entonnoir http://leviolondingres.hautetfort.com/images/medium_entonnoir.jpg. File par philip aïni, http://www.duchoze.com/)

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Commentaires
D
Dommage que t avais pas vu ca avant d'écrire ce billet...un pied volant dans un train volant c est anthologique...
N
Salut ma belle,<br /> Ah, ca m'a rappelé bien des choses lorsque ke faisais la navette...Belle réflexion!
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